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21 décembre 2015

GUILLET Réno - La vraie vie du capitaine Dreyfus, Greilsamer Laurent

FICHE DE LECTURE

 

  • GREILSAMER Laurent, La vraie vie du capitaine Dreyfus, Tallandier, Paris, 2014

 

Ouvrage disponible à la bibliothèque Paul Blois sous la référence suivante :CO 4257

 

Plan de l'ouvrage :

 

AVANT PROPOS

« L'affaire Dreyfus est une tragédie dont le héros est demeuré inconnu. »

François Mauriac.

  1. « Je suis le voyageur errant, passant d'un pays à l'autre […]. »

    Lettre d'Alfred Dreyfus à sa nièce Lucie, Carpentras, été 1892.

  2. « Plus tard, quand on racontera mon histoire, elle paraîtra invraisemblable. »

    Lettre d'Alfred Dreyfus à sa femme, le 14 février 1895.

  3. « Oui, je crois au triomphe définitif de la justice. »

    Propos d'Alfred Dreyfus, le 9 septembre 1899.

  4. « On ne fait pas de conciliation avec des adversaires de mauvaise foi. On les met en face de leurs crimes pour les mettre hors d'état de nuire. »

    Alfred Dreyfus, Carnets, chapitre XXVI.

  5. « Je resterai la victime jusqu'au bout. »

    Lettre d'Alfred Dreyfus à Mme Zola, 19 juin 1907.

 

Quelques lignes sur l'auteur :

 

Laurent Greilsamer est né en 1953 à Neuilly-sur-Seine. C'est un ancien élève de l'Ecole supérieure de journalisme de Lille. Il a d'abord été journaliste au Figaro de 1974 à 1976 puis au Quotidien de Paris en 1977. La même année, il est entré dans Le Monde où jusqu'en 2011, il a occupé différentes places, allant de reporter, rédacteur en chef, directeur adjoint de la rédaction à directeur adjoint du quotidien de 2007 à 2011. Il est aujourd’hui directeur de la rédaction hebdomadaire Le 1 et enseignant à Sciences-Po. Il a écrit de nombreux ouvrages mais est surtout reconnu pour la qualité de ses biographies. En plus de celle sur Dreyfus, il a publié des livres consacrés à Hubert Beuve-Méry, Nicolas de Staël et René Char.

 

Avis de lecture :

 

La vraie vie du capitaine Dreyfus est une biographie agréable à lire et intéressante, du fait qu'elle lève le voile sur, ce qu'un contemporain peut appeler, la plus grande histoire d'injustice. Laurent Greilsamer manie une écriture à la fois riche et ponctuée, teintée de poésie et d'émotions qui rendent par moment l'histoire invraisemblable. Grâce à un gros travail de recherches reposant sur des sources, la lecture des extraits de correspondances entre Dreyfus et sa femme, ainsi que ce qu'il nomme Lettres d'un innocent et Cinq ans de ma vie maintient le lecteur en haleine, comme ça l'était pour Zola qui parlait de « sublime dans la douleur ». On ne peut qu'être émue et captivé face à cette histoire qui prend les allures d'une tragédie, bien que l'auteur élève Dreyfus en héro. De plus, le rythme des événements qui s’enchaînent épouse la dynamique de l'Affaire avec ses rebondissements et ses attentes. L'auteur parvient à mettre en exergue, la fatalité qui s'impose à Dreyfus, en y enveloppant le contexte dans lequel se meut le capitaine. En effet, le lecteur peut assister au fil des pages à un antisémitisme éclairée grâce au recours d'une presse historique saisissante. Il s'agit donc en quelque sorte d'une biographie « élargie », puisque les conditions des minorités juives en France – fin XIXème, début XXème - sont exposées au travers même de celui qu'on a condamné pour être juif.

 

Court résumé :

 

Issu d'une vieille famille de juifs alsaciens, Alfred Dreyfus grandi à Mulhouse. Marqué dans sa jeunesse par la guerre franco-prussienne, il décida d'embrasser la carrière d'officier pour manifester son attachement à la France. Ancien élève brillant de l'Ecole Polytechnique, il fut successivement promue lieutenant, capitaine, admis à l'Ecole Supérieure de guerre avant de devenir stagiaire à l'Etat Major de l'armée ; pour y être nommé véritablement à l'âge de 33 ans, où il est le seul juif. Sa vie pris un tournant le 15 octobre 1894, lorsqu'il fut accusé à tord d'être l'auteur d'un document dérobé à l'ambassade d'Allemagne, le « bordereau », annonçant la livraison de documents concernant la défense nationale. Son procès s''ouvrit alors devant le Conseil de Guerre de Paris, le condamnant à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée. Après avoir connu la dégradation miliaire, il fut ci-tôt embarquer pour l'île du Diable où son seul repos fut la rédaction de ses souvenirs et la correspondance avec sa femme Lucie. Pendant près de 5 ans – d'avril 1895 à juin 1899- il fut gardé en secret, tenu dans de très mauvaises conditions, traqué dans sa case alors qu'en métropole, sa famille menait campagne pour la révision du procès, aidée de nombreux intellectuels, dont Zola, qui au travers de « J'accuse » divisa profondément l'opinion publique. D'un côté, se trouvaient les « dreyfusards », hommes de gauche, anticléricaux et antimilitaristes, et de l'autre, les « antidreyfusards », nationalistes, conservateurs et antisémites. Le mouvement de protestation en faveur de la révision de son procès aboutie néanmoins à une annulation de sa condamnation par la Cour de Cassation en 1899. Pour autant, un deuxième procès s'ouvrit pour lui à Rennes la même année à l'issue duquel il fut condamné de nouveau, mais avec des "circonstances atténuantes". Le 19 septembre 19, il fut gracié par le président Loubet. En 1904, la Cour de Cassation déclara acceptable sa demande en révision du jugement de Rennes, puis deux ans plus tard, le jugement fut classé sans renvoi ; et la Chambre vota une loi le réintégrant dans l'armée, avec le grade de chef d'escadron. Le 21 juillet 1906 fut nommé Chevalier de la Légion d'honneur, puis plus tardivement à la direction d'artillerie parisiennes. Admis à la retraite l'an suivant, il fut mobilisé pendant la Grande Guerre puis retrouva à la fin du conflit les membres qui n'avaient jamais douté de lui. Éprouvé de sa longue période de déportation, ses jours d’innocence prirent fin le 12 juillet 1935.

 

 

Résumé complet par parties :

 

-I-

Alfred Dreyfus est né le 9 octobre 1859. Il est le fils du juif Raphaël Dreyfus, propriétaire de nombreuses filatures à Mulhouse, et de Jeannette Dreyfus. Il est le benjamin d'une série de sept enfants, qui sont respectueusement Jacques, Henriette, Louise, Léon, Rachel, Mathieu, et lui-même.

Il passe une enfance compliquée, c'est sa sœur aînée qui le prend en charge puisque sa mère n'en est plus capable. Alors qu'il devait apprendre le français par coutume dès ses premiers mots, il est contraint d'apprendre l'allemand à Carpentras lorsque l'Alsace est saisie par les prussiens en 1870 à l'âge de ses onze ans. Dès lors, il entend placer sa vie au service de la France, réparer l'affront de la défaite de Sedan, récupérer l'Alsace et la Lorraine. Après avoir intégré la prestigieuse École polytechnique en 1878, il entre donc à l’École d'application de l'artillerie de Fontainebleau pour deux ans, dans laquelle il est un sous-officier noté favorablement. Onze ans plus tard, il devient capitaine, et cavalier reconnu. Il se fiance durant l'hiver 1889 avec Lucie Hadamard, sœur d'un de ses camarades de promotion, puis se marie religieusement dans la grande synagogue parisienne de la rue de la Victoire, le printemps suivant à Paris où ils emménagent ensemble. En 1892, il sort de l’École supérieure de Guerre où il a obtenu le brevet d’État major avec la mention « Très bien ». Néanmoins, il connaît également à sa sortie la première preuve d'antisémitisme à son égard, de la part d'un général qui l'a volontairement saqué au motif « que les juifs n'auraient rien à faire à l'état-major ». A cause de cela, il sort neuvième au lieu de troisième. Heureusement, sa colère est calmée la même année, mais les juifs se trouvent en proie à d'autres injures, notamment avec le lancement de La libre Parole par Edouart Drumont. Les années qui suivent l'occupent au sein du Ministère de la Guerre où il est stagiaire - en grande partie, noté correctement - en plus de s'affirmer dans un cercle militaire et un cercle familial. Toujours dans la capitale, il élève avec sa femme Pierre et Jeanne nés respectueusement, en même temps qu'il s'initie à la rédaction d'articles pour des revues militaires. En juin 1894, il se lie avec le Général de Boisdeffre, autour de discussions militaires. De cette rencontre, il tire profit d'une correction méliorative des rapports qui lui étaient attribués l'an passé, annonçant ainsi une carrière prometteuse.

 

-II-

Le matin du 15 octobre 1894, Dreyfus se rend au cabinet du chef d'état-major général de l'armée où il est reçu par le commandant Ferdinand du Paty de Clam. Alors que Dreyfus entreprend la rédaction d'une lettre, sollicité par le commandant, ce dernier l’interrompt dans sa tâche et l'arrête pour crime de haute trahison. Le commissaire Cochefert lui présente les faits : il est « inculpé du crime de haute trahison au profit d'une puissance étrangère » suite à son voyage d'état-major en juin 1894 où il a pu prendre connaissance de certains secrets touchant la défense nationale et les livrer à l'ennemi. Bien qu'il essaye de se défendre, l'ordre de son arrestation a déjà été signée la veille de l'entretien par le général Auguste Mercier. Il devient le détenu 164, mis au secret dans la prison militaire du Cherche-Midi, à Paris, suivant les dispositions entreprises par le commandant général des prisons militaires, Ferdinand Forzinetti. Jusqu'au 30 octobre, il continue d'être interrogé sans relâche par du Paty de Clam qui est convaincu de sa trahison. Dreyfus est au plus bas, il a des signes de déséquilibre et parle même de se supprimer. Le Général de Boisdeffre, qui l'avait élevé en juin, lui tourne le dos, ce qui défavorise encore plus la posture de Dreyfus. Le 31 octobre, après avoir pris connaissance du « bordereau », la pièce qui l'accuse, le présumé coupable fait l'objet d'un rapport accablant remis au chef d'état-major général. Au bout de deux semaines de secret, le gouverneur militaire de Paris rend l'ouverture d'une instruction officielle confiée au commandant Besson d'Ormescheville. Après un moins d'enquête, un nouveau rapport conclut sa culpabilité. Le 5 décembre, Dreyfus apprend qu'il sera jugé le 19 du même mois, et écrit sa première lettre à Lucie depuis son arrestation. La famille de l'inculpé choisi Me Edgar Demange pour qu'il plaide en son innocence. Dans les lettres qui suivent, Dreyfus laisse entendre qu'il fait néanmoins confiance à la justice militaire. Le 19 décembre, Dreyfus est présenté au Conseil de guerre avec son avocat, il est prévu que le procès dure quatre jours. Celui-ci est présidé par le colonel Maurel. Le premier débat qui ouvre la séance impose à Dreyfus et son avocat le huit clos. C'est un premier combat perdu car ils estimaient au contraire que ce procès devait bénéficier de la plus grande publicité pour mettre fin à sa mise en secret. Bien que le débat tourne à l'avantage du capitaine, on lui reproche de s'être lié à la « femme Déry », une demi mondaine suspecte d'espionnage. Deux graphologues sur cinq affirment qu'il ne peut être jugé coupable, mais l'un des trois autres, Alphonse Bertillon – chef de service de l'identité judiciaire – prétend sa culpabilité. Le commandant Henry, qui travaille au service des renseignements du ministère, est appelé à la barre des témoins pour exposer, selon un informateur, qu'un officier du deuxième bureau s'était placé au service d'une puissance étrangère, ce qui vise directement Dreyfus. Malgré les accusations qui lui sont portées, le huit clos achevé, Dreyfus est persuadé qu'il va être acquitté et le lieutenant colonel Picquart juge un acquittement probable. La sentence tombe le 23 décembre. A l'unanimité, Dreyfus est condamné à la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire. Jetant au commandant Forzinetti « Mon seul crime est d'être né Juif ! », Dreyfus est traîné à la prison du Cherche-Midi. Le 25 décembre, un projet de loi visant à rétablir la peine de mort pour le crime de trahison est déposé au Parlement. Les derniers jours de décembre, Lucie réussit à faire promettre à son marie de ne pas se supprimer et de surmonter la dégradation, en lui promettant de le suivre partout où il sera déporté, et de mobiliser tout pour rétablir son honneur. Le 5 janvier, Dreyfus est dégradé à 9h00 dans la cour Morland de l'Ecole militaire en présence de quatre milles hommes, qui sont les garnisons de Paris, et devant une foule de milliers de personnes qui réclament sa mise à mort. Le général Darras officie la cérémonie tandis qu'un adjudant accompli sa dégradation. Au lendemain, des auteurs comme Léon Daudet ou Maurice Barrès font preuve d'antisémitisme envers Dreyfus dans Le Figaro. On peut lire « Sa face est terreuse, épave de ghetto », ou bien encore « le lorgnon sur son nez ethnique ». Le jour même de sa dégradation, il est transféré à l'île de la Cité et il est emprisonné à la Santé. Communiquer avec son avocat lui est interdit, mais il lui est autorisé d'écrire à sa femme et de la voir deux fois par semaines en présence du directeur ; sans droit d'évoquer la poursuite incarcérale. Le 18 janvier, il arrive en gare de la Rochelle, reçu en traître et frappé par la foule, avant d'être transféré la nuit dans la prison de Saint-Martin-en-Ré. Dreyfus pense encore que la justice continue de chercher la vérité, sous les ordres du général de Boisdeffre et du général Mercier, ministre de la guerre. Le 22 février, il embarque dans une cage, placé à l'isolement, pour les îles du Salut où il descend à terre le 15 mars 1895, affaibli. Au bout d'un mois passé entre quatre murs, fenêtre rendue aveugle, il est finalement conduit sur l'île du Diable – au large de Cayenne - « une cellule à ciel ouvert » que Victor Hugo nomme une « guillotine sèche ». Il est pour la première fois obligé de revêtir l'uniforme de déporté et est confronté à l'isolement. Pour rompre la monotonie, il organise ses journées : travaille tôt le matin, puis apprend l'anglais grâce à un livre qu'il a conservé, mange peu, et écrit l'après midi. Le 14 avril, il entreprend le journal de ce qu'il nomme « son épouvantable vie ». Le 11 juin, il reçoit en paquet, après deux mois de suspend, toutes les lettres de sa femme qui répondaient aux siennes. Leur correspondance était surveillée, censurée et remontée au ministère de la guerre, qui ne retenait que les réponses de Lucie pour faire signifier à Dreyfus un abandon familial. Dreyfus s'en aperçoit et averti sa femme que leur correspondance est vouée à un décalage de plusieurs mois. Environ un an après son arrestation, Dreyfus traverse différentes phases de dépression, connaît de grosses fièvres qui le conduisent à des hallucinations, voyant même ses surveillants, eux-même atteints, quitter leur postes. Il tente cependant de tenir bon, sa famille le tient en vie. Début octobre 1895, il écrit une lettre au président de la République dans laquelle il transmet sa confiance envers la justice, dont le devoir est de l'innocenter et de lui rendre son honneur. Le 5 du mois, il reçoit le rejet de sa requête « Repoussée, sans commentaires », le rendant suicidaire, prêt à mourir. Il est victime de palpitations et de névralgies récurrentes, mais son positivisme face au « lot des âmes faibles » le rattrape et le sauve, comme il le transmet dans ses lettres à son frère Mathieu. A force d'obstination, il obtient des médicaments et au bout de six mois de déportation, reçoit enfin des provisions de Paris envoyées par sa femme. Face à une unième dégradation de son état de santé, il perd une seconde fois son identité et devient le code « 7478 », dans les courriers officiels du ministère des Colonies qui s'oppose à toute hospitalisation du déporté. L'été 1896 marque sa plus grande dépression : les surveillants le retiennent autour de sa case d'où il pouvait auparavant s'éloigner, puis pendant quelques jours, il est mis aux fers la nuit, obligé de dormir sur le dos. Le 10 septembre 1896, il tente le tout pour le tout en envoyant au président de la République son journal dans l'espoir que ce dernier lui ouvre les yeux sur l'erreur commise, bien que le destinataire final est sa femme. Privé de courrier provisoirement ci-tôt après, aucun retour lui est transmis. Il est confronté au supplice de la « double boucle » durant 2 mois. Il est également privé d'écrire et devient soumis à une autorisation de feu permanente. En novembre 1896, Paris expédie en Guyane tout le nécessaire pour assurer la conservation du corps en cas de décès. Suite à la réception d'une lettre de Lucie en décembre 1896 dont il reconnaît la censure et la réécriture, il lui répond, le 4 janvier 1987, que seul le gouvernement peut le sortir de son enfer, et du sien. Dans le même temps, le commandant Deniel prend la relève du commandant Bravard, responsable de l'ensemble des bagnes des îles du Salut et se montre particulièrement hostile à Dreyfus. Après deux ans de Bagne, il est debout mais affaibli, miné par la dysenterie, le manque de vitamines et la sous-alimentation. Il persiste à garder une activité intellectuelle pour ne pas perdre pied en perfectionnant son anglais, en lisant Shakespeare ou Montaigne, construisant des fiches de lectures, en s'exerçant aux mathématiques. En août 1897, il est enfermé nuit et jour dans une nouvelle case plus surveillée. Le 10 août 1897, il commence à rédiger son « testament moral », dans lequel il prépare sa femme à sa disparition. En novembre 1897, Lucie lui envoie ses premières lettres d'espoir, auxquelles il ne sait se conforter, pensant qu'il puisse s'agir d'une machination tentant à mieux l'achever. Début 1898, elle lui écrit « Quand cette lettre arrivera en Guyane, j'espère que tu auras reçu la bonne nouvelle que ta conscience attend depuis trois longues années ». Dans le même temps, cependant, sa sécurité et le renfort de l'île sont de plus en plus assurés. Il écrit des lettres aux grands personnages de la République qui n'arrivent jamais à destination. Au premier semestre 1898, Dreyfus est miné par le paludisme ; malgré cela, la consigne de ne pas l'hospitaliser est maintenue. En octobre 1898, cela fait un an que Lucie lui a fait part de sa confiance en la justice mais rien n'a changé, hormis l'effondrement progressif de sa personne. Ayant fait vœu de gréve de sa correspondance envers la France, le 27 octobre 1898, il apprend qu'il va recevoir une réponse définitive à ses demandes de révision adressées au chef de l'Etat. En proie à un physique qui le lâche, il retrouve néanmoins confiance. Le 16 novembre 1898, la Cour de cassation accepte sa demande de révision. Le sort de Dreyfus s'améliore, on lui autorise de sortir de sa case à des heures prévues. A la veille de l'année 1899, Dreyfus, privé de toute information sur son dossier depuis 4 ans, apprend - par le réquisitoire introductif du procureur général de la Cour de cassation – le nom du vrai coupable. Il s'agit du commandant Esterhazy, qu'il ne connaît pas, et apprend en même temps le suicide du commandant Henry - chef du service de renseignement de l'armée - qui l'avait désigné coupable le jour de son procès. Le président de la cour d'appel de Guyane vient l'entendre sur commission rogatoire le 5 janvier 1899 ; c'est la première fois que la justice vient à lui, pour l'entendre. Les mois s’enchaînent et Dreyfus oscille entre optimisme et désespoir. Le 5 juin 1899, le surveillant chef ouvre sa case et lui présente à Dreyfus une dépêche « la Cour casse et annule jugement rendu le 22 décembre 1894 Alfred Dreyfus par le Ier Conseil de guerre du gouvernement de Paris et renvoie l'accusé devant le Conseil de guerre de Rennes ». Le croiseur Sfax est chargé de le ramener en France. Après quatre années et quatre mois de séquestration sur l'île du Diable, il est à nouveau « libre » à 39 ans.

 

-III-

Alors qu'il s'imaginait un retour prodigieux, la traversée lui procure un sentiment de solitude et lui semble infini. Il accoste le 1er juillet à Port-Haliguen, face à la pointe de la presqu'île de Quiberon et à 6h00 du matin, le capitaine se retrouve dans une cellule de la prison militaire de Rennes où enfin il revoit sa femme Lucie. Après de belles paroles échangées, elle lui annonce que le procès en révision a été programmé pour le début du mois d’août. Le 3 juillet 1899, Dreyfus reçoit ses deux avocats, Me Demange, qui lui présente Me Fernand Labori pour une séance de travail improvisée pour traiter les débuts de l'Affaire. Dreyfus apprend que sa libération est en parti du à son frère Mathieu, puisqu'il a permis de trouver le véritable coupable. Il apprend aussi que celui-ci a été relaxé, bien avant la décision de réviser son propre procès ; et que le colonel Georges Picquart, qui cherchait à faire éclater la vérité à l’intérieur de l'armée a été emprisonné. De plus, il est mis au courant du renfort de l'opinion qui s'est portée de son côté, notamment de la lettre ouverte de Zola – adressée au président de la République - « J'accuse » dans l'Aurore le 13 janvier 1898, qui a valut à l'auteur une poursuite en diffamation et fait naître en écho le groupe pro-Dreyfus ; les dreyfusards. Dreyfus est confronté à l'effondrement de ses illusions qui élevaient la justice au rang de la vérité et découvre la trahison du Général de Boisdeffre, qui travaillait à sa perte. Chaque matin, à la prison, il reçoit des télégrammes et des lettres de soutien, provenant de la France, mais aussi d'autres pays d'Europe. Malgré cela, il est en mauvaise santé, et peine à circuler. Jour après jour, il se forge une lucidité aux travers des rapports que lui a confié Me Demange. Les îles du Salut, comme lieu de déportation, ont fait l'objet d'un projet de loi du ministre de la guerre, visant à les rétablir . A la veille du 7 août, jour de la révision du procès qui se déroule dans un lycée transformé en Conseil de Guerre, il est serein et confiant ; « l'armée ne peut pas se tromper deux fois ». Le jour-j, affaibli, il peine à clamer son innocence et le huis clos est proclamé, et dure plusieurs jours. M. Labori manque de faire poursuivre les généraux Mercer et Chaumoin pour production volontaire et concertée de faux concernant le dossier secret, qui prouvait selon la justice militaire, la culpabilité de Dreyfus. Le 12 août 1899, le procès reprend son cours en audience public. Le 14 août, alors que Me Labori se rendait à l'audience, une balle lui atteint le dos, mais heureusement, il est remis sur pied. Dreyfus se retrouve dans le même piège qu'en 1894, les témoignages sur lesquels il comptait le plus n'ont pas lieu et les apports nouveaux depuis sa première mise en condamnation n'ont pas d'effets positifs. Le 9 septembre 1899, le verdict tombé, il est à nouveau condamné. Le Conseil de guerre lui inflige dix ans de détention avec circonstances atténuantes, à une majorité de cinq voix contre deux et une nouvelle dégradation est votée. C'est un nouveau cauchemar qui s'empare de lui, et au même moment, la lutte qui oppose dreyfusards et anti-dreyfusards s'affirme. Le 12 septembre 1899, son frère Mathieu lui rend visite dans sa cellule pour lui faire part que le gouvernement est prêt à lui accorder grâce. Bien que Dreyfus refuse au début, réclamant uniquement justice, son frère le convint en lui assurant que cela est susceptible d'avoir un impact considérable auprès de l'opinion publique. Le 19 septembre 1899, la grâce est signée, Dreyfus sort de la prison militaire de Rennes le lendemain. Il rejoint Nantes, prends un train vers Bordeaux où il retrouve son frère, puis un autre à destination d'Avignon. La presse progressiste publie sa déclaration lue et relue datant de quelques jours « Le gouvernement de la République me rend ma liberté. Elle n'est rien pour moi sans l'honneur ».

 

-IV-

Aux environ de Carpentras, il se retire avec Lucie, chez sa sœur Henriette et son mari. Dreyfus retrouve ses enfants, Pierre et Jeanne, qu'il n'a pas vu depuis 5 ans. Sa santé s'améliore, il est apte à marcher plus longtemps et reçoit toujours beaucoup de courriers, ainsi que des invités de la grande intimité mais aussi les intellectuels des rangs des dreyfusards. En novembre 1899, le gouvernement entend faire voter une loi d’amnistie qui doit recouvrir la totalité des faits liés à l'Affaire, Dreyfus s'en prend au Sénat, réclame justice une nouvelle fois, mais cela se solde par un échec. En raison de recommandations faites par des médecins, liées a un climat défavorable pour une santé encore fragile, Dreyfus et sa famille, quittent la Provence pour s'installer à Cologny, dans le canton de Genève, mi-avril 1900. En Suisse, il reprend davantage de forces et décide de se concentrer sur la révision de son procès en découvrant des faits nouveaux imparables, bien que le président du Conseil ait déclaré « Il n'y a plus d'affaire Dreyfus » en raison de la montée anti-sémite en France. Le capitaine commence aussi la rédaction de ses souvenirs ; qu'il nomme Cinq années de ma vie. En septembre 1900, face à une rumeur qui affirme qu'il s'est exilé en Suisse pour fuir, Dreyfus et sa famille reviennent à Paris. S'installant chez son beau père, il fait l'objet de menaces et insultes de la part de ceux qui croient toujours en sa faute, pour lesquels « la grâce ne vaut pas un acquittement ». D'un autre côté, Dreyfus devient un objet de curiosité, notamment de la gente féminine, et se lie avec son « troisième avocat », Emile Zola ; au même moment qu'il rompt les liens avec Me Labori, qui lui reproche d'avoir accepté la grâce au dépit d'une cause politique « noble et collective ». Cinq années de ma vie paraît chez Fasquelle et le jeune écrivain Julien Benda publie une critique fascinante du portrait de Dreyfus, lequel à vécu les pires horreurs et les raconte de manière la plus objective possible. Dreyfus devient « jeudiste », c'est à dire qu'il participe tous les jeudi à des discussions politiques avec de grands intellectuels dans l’hôtel particulier de la marquise Marie-Louise Arconati-Visconti envers laquelle il témoigne de ses préoccupations sociales. A la mort de Zola, la préfecture de Paris tente de l'évincer de la cérémonie mortuaire de la nuit du 4 octobre 1900; heureusement il y assiste, selon l'accord de la veuve Alexandrine Zola. A partir de 1903, s'alliant avec Jean Jaurès, il réalise que la justice militaire est réellement tournée contre lui, s'adressant au ministre de la Guerre en concluant « ma seconde condamnation fut une réédition aggravée de ce qui s'était passé en 1894 ». Fin 1903 constitue un renversement : Le 24 décembre, la Cour de cassation émet un avis favorable à la révision du Procès de Rennes, se confrontant à l'usage de faux. Me Henry Mornard est choisi par Dreyfus pour reprendre l'étude du dossier du procès de Rennes au cours de l'année 1904. En ce début d'année, un policier informe Dreyfus qu'il est la cible visée d'un groupe anti-sémite, dit « la bande à Guérin » ; il est aussitôt mis sous protection. Le 22 juin 1904, il est entendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation et l'instruction se termine en novembre. Le début de l'année 1905 voit une succession des rapporteurs de dossier de l'Affaire, certains vendu dreyfusards, d'autres déclinant leur fonction. Manuel-Achille Baudoin rédige un réquisitoire démontrant l'innocence du capitaine Dreyfus et la culpabilité du commandant Esterhazy, réfugié à Londres. L'année 1905 permet à Dreyfus de réunir ses amis autour de lui qui le conseillent. Le procès s'ouvre le 15 juin 1906, Dreyfus comparaît libre pour la première fois. Après une tentative de renvoi de dossier pour faire durer l'Affaire, qui visait précisément à ne pas l'achever, le 9 juillet 1906, la Cour innocente définitivement Dreyfus.

A son retour chez lui, il écrit de nombreuses lettres de remerciement envers ceux qui l'ont toujours soutenu tandis que la presse nationaliste fait montre d'un antisémitisme à la une de ses journaux : « Le triomphe des Juifs. Dreyfus est réhabilité » - La Libre Parole. Le 13 juillet 1906, Dreyfus réintègre l'armée en tant que chef d'escadron, puis, une semaine plus tard, il est nommé chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur par le général Gillain. Le jour de la cérémonie laisse percevoir la joie mais aussi les marques de plusieurs années difficiles à la vue de tous les présents.

 

-V-

Dreyfus est néanmoins déçu que le gouvernement oublie les années 1894-1906 puisque devenant tout juste commandant, il s'est fait distancer par tout ses camarades. Le 25 juillet 1906, il rend visite au président Armand Fallières qui lui témoigne tout son soutien. Mi-octobre 1906, Dreyfus reprend son service à Vincennes où il est commandant de l'artillerie de l'arrondissement de Sait-Denis pendant que les principaux acteurs de l'Affaire, comme le général Picquart devenant ministre de la Guerre, montent en grade. Face à un gouvernement ne le rétablissant pas au grade légitime, il demande donc sa mise à la retraite le 25 juin et la demande est officialisée dès le lendemain. N'étant pas resté suffisamment chef d'escadron, il est retraité comme capitaine seulement. Le 4 octobre 1907, il met un point final à la rédaction de ses souvenirs et décide finalement de les garder pour lui. Le 5 juin 1908, alors que Dreyfus assiste au transfert des cendres d'Emile Zola au Panthéon, son « ami des jour sombres », le sexagénaire Louis Grégory lui tire dans le bras. Dreyfus, soigné et reconduit chez lui, s'en sort indemne ; l'attentat loupé est perçu par la presse nationaliste comme « crime honnête » manqué. Le 10 et 11 septembre 1908 a lieu le procès jugeant Louis Gregori de la tentative de meurtre sur Dreyfus. Le criminel s'en sort acquitté, sous l'applaudissement des nationalistes qui crient à l'antisémitisme. Dreyfus vit ce jugement comme une troisième condamnation, qui lui fait perdre de nombreux proches, à l’intérieur même du cercle familial. L'été 1910 se voit comme la révélation d'un traître ami de Dreyfus : Charles Péguy, qui l'avait sacré héros au temps de sa déportation, le descend au jet d'encre dans une revue des Cahiers de la quinzaine. Bien que Dreyfus, conseillé par ses amis de la Ligue des droits de l'homme, décide de répliquer dans la Presse, aucun journal ne retransmet fidèlement ses écrits, tronquant les lignes pour le décrédibiliser. 1912 marque une nouvelle altercation antisémite devant l'immeuble des Dreyfus. L'été 1914 s’annonçait magnifique pour Dreyfus, sa fille Jeanne s'étant fiancée et son fils rentrant dans l'armée ; mais la déclaration de guerre faite à la France par l'Allemagne le conduit à reprendre le service. A 55 ans, il est affecté à l'état-major de l'artillerie du camp retranché de Paris alors qu'il réclamait un poste sur le front. En 1917, il obtient satisfaction et se bat à Verdun. Il est promu lieutenant-colonel de réserve en septembre 1918 alors que son fils devient capitaine. La guerre terminée, il revient discrètement à la vie civile ; ses meilleurs amis ont disparu, et se retrouve presque seul à subir encore en 1920, les frais de ses ennemis permanents «La culpabilité de Dreyfus ne se discute pas : « Dreyfus est juif. » ». Durant l'été 1927, Dreyfus signe une pétition contre la condamnation de deux militants italiens, Sacco et Vanzetti, accusés de hold-up violents et de menées terroristes aux Etats-Unis, refusant l'idée d'une peine de mort alors que règne l'incertitude sur la culpabilité des deux hommes. Après son dernier déménagement avec sa femme, Dreyfus voit mourir son frère aîné Mathieu, envers lequel, il dit lui-même, « Je te dois tout ». En 1931, une pièce de théâtre retraçant l'affaire Dreyfus se voit ne plus être jouée en raison des troubles qu'elle suscite. Dreyfus voit ça comme une unième attaque contre lui, mais sa famille est sa défense. Fin 1934, il se fait opérer en Suisse, son état ayant empiré et le 12 juillet 1935, il meurt d'une longue maladie à l'âge de 73 ans. Le 14 juillet, il est enterré au cimetière Montparnasse, après que son cercueil ait traversé deux haies de gardes républicains sur la place de la Concorde.

 

 

Références bibliographiques qui traitent de la même question :

 

  • BIRNBAUM Pierre, L'Affaire Dreyfus, la République en péril, Gallimard, Paris, 1994

  • BREDIN Jean-Denis, L'Affaire, Julliard, Paris, 1983

  • DROUIN Michel, L'Affaire Dreyfus de A à 77, Flammarion, Paris, 1994

  • JOLY Bertrand, Histoire politique de l'affaire Dreyfus, Fayard, Paris, 2014

  • SOLET Bertrand, Il était un capitaine, Le livre de poche, Paris, 1979

 

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